Grand type, petit voleur

Le soir tiède de Manhattan en fin de saison commençait à obscurcir le ciel au-dessus des rues, ce qui était exactement le moment pour John-John de prendre du service. A la télévision, un reportage sur des zozos qui prétendent avoir vu des extraterrestres en Amérique sudiste ou au Mexique. Le colosse blond n'est pas vraiment intéressé, mais c'est un bruit de fond comme un autre en mangeant des fajitas.
*Décidément, le monde est complètement taré*
Il engloutit sa dernière bouchée, avale le contenu d'une bière sans broncher et se décide à bouger du fauteuil miteux où il est installé. Après avoir posé la vaisselle dans l'évier crasseux, il se frotte les mains sur un vieux chiffon pour attraper son masque. Il laisse un rot odorant lui échapper avant d'enfiler l'étroite cagoule sur son large visage. Au début c'était difficile, avec sa forte mâchoire, mais le tissu s'est fait à sa morphologie. Derrière les larges lentilles argentées, il voit les témoins de rencontres du troisième type disparaître lorsqu'il appuie sur le bouton du téléviseur. Un instant après, le son s'assourdit puis s'évanouit comme l'image.
Il saisit un large pull, qu'il enfile par-dessus son débardeur de sport mangé aux mites. Il retrouve son fameux lance-toile qui porte peut-être bonheur, son imperméable ocre et son revolver fidèle et sans faille. Sans plus tarder, John-John désormais sous l'identité inquiétante du Doppelgangster sort du petit appartement au premier, non sans bousculer sa voisine. La vieille crie et jure comme un muletier, mais fait grise mine quand Double John la dévisage. Il esquisse une gifle, qui se perd non sans avoir délivré son message.

Après la volée d'escaliers, le voilà dans la rue. Bien sûr, il ne s'y attarde pas, préférant largement les ruelles et les arrière-cours, les coins de rues où on voit les gens sortir des bars et des cinémas encore à moitié étourdis. Oui, John-John préfère les proies faciles. Il est un racketteur, et dans cette activité, il n'y a aucune gloire à alpaguer un pigeon trop fort pour soi. Cela dit, avec sa carrure, le malfrat masqué a peu de chances d'être inquiété. Mais il n'a ni mutuelle ni médecin traitant, alors autant éviter de se fatiguer.

Finalement, il choisit l'un des coins où il préfère attendre les pigeons. Il s'appuie contre une porte dont il sait qu'elle ne donne nulle part, mais offre un petit renfoncement parfait pour attendre et surgir de nulle part.

Deux soulards flânaient sur un banc non loin du grand bandit, sur le trottoir d'en face plus exactement. Il jactaient et picolaient en racontant tout et n'importe quoi. L'euphorie de la rue et des beuveries leurs faisait miroiter un vie de star dont ils se réjouissaient.
Un homme habillé costard/cravatte passa devant leur nez et se moqua d'eux. Il se complaisait à les rabaisser au rang de "bon à rien" de vermine de la société, s'accrochant aux braves et honnêtes gens dont il faisait parti.
Les clochards allaient lui balancer leur bouteilles en travers de sa tête s'il ne déguerpissait pas au plus vite, chose qu'il ne manqua pas de faire. Il détalla en traversant la rue, non loin du gangster au masque d'araignée. Peut-être une bonne cible pour le racketteur, promis à de grandes responsabilités.

Mais une autre cible aurait pu l'intéresser. En effet, à l'opposé du gaillard blond se trouvait une petite épicerie, tenu par des latino-américains. Isolé et donc vulnérable, ce serait un endroit parfait pour voler quelques billets.

Adossé dans son renfoncement de porte, John-John avait observé la scène avec un certain intérêt. Dès qu'il l'avait vu, cet homme lui avait paru clairement antipathique. Quand il s'approcha de sa cachette, le gangster fit jouer le mécanisme de son lance-toile en repliant le medius et l'annulaire. L'effet fut immédiat, et le smoking du passant colla rapidement à la texture argentée. Le Doppelgangster le tira vers lui d'un revers de son avant-bras musculeux, pour mieux l'entoiler contre l'huis condamné.
Puis sans se tourner vers eux, il donna de la voix à l'intention des deux clochards :
"Il est à vous, les gars."

Puis tourna les talons, direction l'épicerie. C'est ainsi qu'il comptait se faire un nom dans le coin. Des attentions distribuées avec parcimonies, et des menaces contre les commerçants ; ainsi, il se ferait un secteur. Et il serait respecté dans la rue.

Le magazine populaire et célèbre, le Daily Bugle venait de paraître, comme tous les jours, dans les kiosques en vente libre. Ce magazine quotidien émerveillait de bonne heure les passants et les gens civilisés, avant d'aller travailler. Prendre une bonne dose de super-héros en papier mettait le moral aux troupes, enfin à celles qui en ont l'envie.

Spoiler:

Un petit article en bas de la page 5 d'un fameux hold-upper en série d'épiceries avait alerté les polices de districts mais sans plus. Certains flics étaient sur l'affaire, entre deux tasses de café.

Daily Bugle a écrit:: Le mal a encore frappé: ce cambrioleur au masque de Spider-Man, personnage presque emblématique de notre Manhattan, est un usurpateur !
Qu'attend Spider-Man pour arrêter ce petit criminel de pacotille ? Lui-même n'est peut-être qu'un criminel, mais se faire rabaisser par un petit "frère" de seconde zone devrait inquiéter Spider-Man.
Plus d'informations prochainement.

En passant devant la devanture qui présentait de nombreux Daily Bugle, entre autres Globe et Herald. Il se saisit du torchon anti-Spider-Man et y jeta un œil en ajustant son masque sur le menton. Puis il le jeta sans y accorder davantage d'attention.

"Rhino, hein? Quelle tête de demeuré. Le monde est trop con."

Il entra dans l'épicerie, qui faisait aussi restauration rapide avec deux-trois tables dans le coin opposé au comptoir. Il se saisit dans un poing de son revolver. Dans l'autre, son lance-toile lui permettrait de régler un imprévu. Puis il poussa la porte. D'un grand pas de ses jambes de géant, il entra dans l'établissement miteux en aboyant :
"Lâchez-moi la caisse, et fissa!"

L'épicerie était tenu par un type d'origine indienne d'une cinquantaine d'années. Il leva les mains et dit d'un accent très typique:

Plenez tous ce qué vous voulez misieur Spider-Man mais épargnez ma pauvle vie et celle de mes honorables clients !

Il regardait l'usurpateur en puissance d'un air de chien battu.

"Je suis pas Spi... Ah, laisse tomber, passez-moi cette foutue recette."

Il se rapprocha dangereusement du petit détaillant pour récupérer l'argent dans un de ses propres sacs, dans l'intention de sortir rapidement, non sans lui avoir flanqué le canon sous le menton, histoire de lui mettre encore la pression.

Aah non, si vous plé, ne me faites pas de mal !

Il leva les mains plus haut ainsi que la tête avec le pistolet si près de sa gorge. Il était à la limite de déverser toutes les larmes de son corps.

Des gens observaient la scène à travers les vitres et plusieurs appelaient la police. Ceux-ci ne se firent pas beaucoup attendre: à peine le gangster avait-il pointé de son flingue le commerçant qu'une sirène se firent entendre. A Manhattan, bon nombres de policiers ont leur caserne près des grands axes. Ils ne leur faudraient pas beaucoup de temps pour arriver près d'un hold-up.

Double John se retourna en agitant son flingue dans la direction du petit marchand :

"Je vais pas te faire de mal mon gros. Et tu sais pourquoi? Parce que je l'ai pas décidé. Mais fais gaffe à ta petite tête, étranger. Ca pourrait me passer."

Après être sorti de la boutique il s'avança vers le renfoncement familier et vérifia si le type en habits chics était toujours là et si les soûlards lui avaient fait sa fête.

L'épicier fut soulagé quand le gangster passa la porte. Il rassura ensuite ses clients.

Dans une rue non lointaine, deux amas de chair souls gisaient sur le banc, bouteilles à la main. Ils étaient devenu tellement ivres qu'ils se sont endormis l'un sur l'autre.
Le gars au costard n'était pas sur les lieux. Il avait bien sûr plus important à faire ailleurs, comme tous les autres types de son rang social.

Constatant que les ivrognes n'avaient pas bougé, et même étaient maintenant amorphes et somnolents, John-John ressentit une pointe de déception. Le type au smoking méritait pourtant sa leçon.
"Ah les déchets..."

Il retira bien sûr son masque écarlate et retourna sa veste réversible. Sa longue cicatrice faciale était désormais exposée mais ses chances de n'être pas reconnu étaient déjà plus grandes. Il était toujours muni de son sac à commissions empli d'argent sonnant et trébuchant. Il s'enfonça à la recherche de la place la plus bondée possible pour se mêler à la foule et changer de zone grâce à la protection que lui prodiguait l'anonymat.

Soudain, il tressauta : il avait cru reconnaître parmi le peuple si pressé l'homme odieux qui avait eu les faveurs d'une toile.

Le gars au smoking regardait sa montre et marcha plus vite que la normale. Enfin, la normale étant basse, ici, à New York, on courait au lieu de marcher !
La gars fonça sur l'homme qui l'avait agressé.

Oh non ! dit-il en faisant des petits yeux.

John-John ne perdit pas son temps. Il serra les avant-bras du type de ses énormes paluches et murmurra :

"Tu te souviens de moi, j'avais un masque? J'en ai pas fini avec toi, tu m'as soûlé."

Il enfonça le canon de son arme dans le ventre du richard ; son doigt glissait sur la gâchette.

Bon écoutez, je ne veux pas mourir et encore moins me faire traiter en ridicule devant tout ce monde.
Si c'est de l'argent que vous voulez, je vous en donnerais mais épargnez ma vie, vous ne le regretterez pas !

Il commençait à suer de peur.

*De l'argent?*
Ce type semblait avoir un certain pactole et une réputation. Qui pouvait-il bien avoir alpagué? Un présentateur météo, un propriétaire, ...? John-John remonta sa main sur le col du Monsieur et imprima la force de ses doigts à la base de son cou pour mieux le mener contre le mur le plus proche. Le visage balafré du malfrat fut déformé par un odieux sourire.

"Ton portefeuille. Vite."

S'il avait vu son nom quelque part, ou si l'accessoire contenait un indice, il saurait si c'était bien son jour de chance.

*Voilà ce qui arrive quand on s'en prends aux démunis ! Rhaaaa plus jamais je ne parlerai à des clochards !*

La force exercée sur son col était telle que le gars faillit s'étrangler.
Il finit par sortir doucement son portefeuille.

Sa carte d'identité, 100$ et quelques papiers se trouvaient dans la plus grosse partie. Une carte d'assurance et d'autres cartes de magasin étaient placés dans leur emplacement prévu à cet effet. Enfin, une belle carte de crédit Gold, au plafond ahurissant, était logée dans la partie la plus visible.

Le "smoking guy" espérait que le voleur partirait avec les sous visibles plutôt que lui faire retirer de l'argent ... Il ne voulait pas voir son compte en banque descendre en flèche !

Sur les papiers du bonhomme était inscrite son identité : J Jonah Jameson. Le nabab des médias! D'un geste d'un seul, sans lui laisser le temps de percuter, John-John entoila le visage de l'homme et le crédita d'un énorme coup sur la tête. Puis il le posa sur son épaule et se réfugia dans les rues, jusqu'à trouver un taudis dans la tour de l'horloge, repaire autrefois utilisé par Midnight, l'ennemi de Moon Knight.

Jameson n'eut rien vu venir. Un seul coup et il tomba dans les vapes.

Jameson, je vais te tuer !

Des têtes de Spider-Man venaient s'agglutiner dans ce petit coin de son esprit, tout noir. Ils répétaient sans cesse la même chose.

Jameson, je vais te tuer !

Un des Spider-Men sortit alors une arme et tira. Tous rigolèrent ensemble, de bons cœurs. La balle l'avait effleuré. Des gouttes de sueurs tombèrent de son crâne.

Jameson, tu es mort !

Tous les Spider-Man tirèrent sur Jonah qui se réveilla en sursaut. Il avait mal à la tête. Cet épouvantable cauchemar n'était pas très bon signe.
Il posa sa main sur sa tête et frotta vivement. Le type lui faisant face avait une très bonne force, ce qui n'était pas à l'avantage de Jonah. Il ne dit aucun mot, attendant que son interlocuteur mal affamé dise quelque chose en premier.

Dans l'intervalle de temps où Jameson était resté inconscient, Double John avait attrapé un gamin qui traînait. Il lui a demandé s'il voulait être riche. Celui-ci avait acquiescé, et accepté les directives de Stevens pour filmer son visage masqué menaçant un individu identifié comme étant le célèbre J. Jonah Jameson, demandant le versement d'une rançon exorbitante d'un million de dollars.

Quand le vieil homme énergique se réveillé, John-John se planta devant lui et lui désigna la petite télévision qui crépitait en montrant en boucle les images de sa petite prise d'otage.

"Salut Jameson. Tu me reconnais? Spider-Man n'est-ce pas. Ce gars t'a fait gagner des fortunes. Quant à moi, c'est toi que je vais vendre contre une grasse somme qui remboursera tout ce que la vie m'a fait voir."

Jameson avait vraiment mal à la tête. Il allait devenir fou à cause de Spider-Man. Il l'avait bien cherché mais se doutait forcément que ce n'était pas le vrai. Un journaliste talentueux tel que Jonah ne se ferait pas avoir comme ça.

Qui êtes-vous bordel ? Vous croyez que votre petit manège marchera ?
Vous êtes loin du compte mon gars ...

Il avait peur du grand baraqué mais l'homme au masque de l'Araignée avait atténué sa peur en vengeance ou pultôt en véhémence.

John-John, derrière une apparence qui se voulait odieusement impassible, était en fait excité comme une puce. Ce coup était le plus gros qu'il ait jamais fait, et il risquait le quitte ou double.

Néanmoins il se moquait des minables tentatives d'intimidation du magnat des médias.

"Vous croyez?"

Il agita entre ses doigts un petit appareil, un téléphone portable dernière génération. Jonah devait forcément le reconnaître comme le sien.

"J'ai envoyé une copie de mon petit manège à votre ami Jo Robertson."

Voyant son téléphone entre les mains du pseudo-SpiderMan, il parut assez confus. Bien qu'ayant, au début, peur de son agresseur, il était toujours d'attaque pour riposter.

Et vous croyez que ça va marcher ? Dès qu'il saura, il alertera la police, l'armée même ! Vous ne durerez pas longtemps, croyez-moi ...
Vous n'êtes qu'un petit voyou de seconde ou troisième zone. Tout ce que vous ferez, c'est vous tourner tout seul vers votre propre déchéance.

Il tâtait le sol à la recherche d'un objet qui aurait pu l'aider dans sa situation.

Double John était incapable d'argumenter face au véhément Jameson. Mais il savait une chose. Si le vieux journaliste était aussi véhément contre lui, c'est qu'il avait visé juste. Il allait devenir un grand nom avec cette affaire. Et il gagnerait des millions.

"Fais-moi plaisir, reste silencieux pour une fois."

D'une poussée du medium et de l'annulaire, Stevens actionna le lance-toile volé et bâillonna Jameson en un clin d'œil.

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