Farniente (Mercredi 30Août)

Chen Lu était enfin tranquille, assistant dans un transat en lin et bois de merisier, au coucher de Soleil dans son pays natal. La veille, il était arrivé à l'aéroport spécial des services de sécurité de l'état, avec quelques bagages et une énorme envie de se reposer. Il avait acheté avant de partir lui un recueil de sagesse chinoise publié par des éditeurs New-Yorkais, et le dernier volume paru de la Tour Noire de Stephen King. Après avoir papillonné incognito dans les boutiques et les rues pittoresques, un petit avion est venu le réceptionner pour le conduire dans sa résidence de repos au Nord de Beijing.

Après une bonne nuit de sommeil dans ce petit hôtel privé, il avait profité de la terrasse et des services d'une petite masseuse coréenne qui n'était pas insensible à ses flatteries. Elle avait détendu une à une chacune des parties de son corps, pratiquant massage et accupuncture avec brio, sans jamais perdre le sourire. Le bon docteur alors s'était adonné à la lecture, non sans avoir invité la jeune femme à partager avec lui quelques cocktails subtilement alcoolisés.

C'était la grande vie, sans prise de tête et sans jeeps ni hélicoptères ; il en oublierait presque les traîtres et les civilisation hyperboréennes. C'était d'ailleurs le but, mais il ne devait pas oublier que bientôt, ses supérieurs Chinois le convoqueraient à leur raconter tout ce qu'il avait appris, en détail et par le menu, sans oublier toutes les conjectures et possibilités qui pouvaient en procéder. Pour cela il avait laissé ses notes dans son bureau certain ainsi de ne pas se prendre la tête pendant son temps de répit et de repos.

Sans signe avant-coureur, un quatuor d'hélicoptères noirs apparut dans le ciel, au-dessus de la maison de repos du bon docteur. Ils s'approchèrent dangereusement, et l'un d'entre eux laissa pendre une échelle, telle une longue langue de corde brune hors de l'appareil. Chen Lu alerté par le bruit dut s'en approcher, une serviette autour des hanches. Derrière lui, la petite masseuse tentait de cacher ses courbes derrière ses bras serrés contre son corps fluet.

Un officier Chinois descendit, et quelque peu effarouché par les implications qu'évoquaient un homme radioactif, il eut un mouvement de recul quand Lu arriva à sa rencontre. Il serrait les dents et un filet de sueur coulait au bas de sa tempe palpitante. Il avait vu suffisamment de choses inquiétantes pour la journée, et voilà qu'il devait accoster cet homme de jade qui supurait la radioactivité.

Dans le vacarme des pales et turbines, il l'invita à le suivre dans l'engin. Puis, nerveux et irrité, il congédia la jeune femme dénudée. Quelques heures plus tard, ils atterrisaient sur un plateau sec et surélevé, au-dessus de la vallée surnommée Ravin des Esprits.

Sommairement habillé d'une tenue de containment nucléaire récupérée dans le transport aérien, Chen Lu a fait tout le trajet en silence. Il pense à Stephen King, à Lao-Tseu, à la guerre de Troie et aux civilisations hyper-boréennes. Il regrette également d'avoir dû quitter si tôt la jeune femme envoyée par le gouvernement pour détendre ses muscles et ses frustrations. Il n'a aucune seconde pensée pour les rapports qu'il avait entrepris de rédiger. A l'heure qu'il était, le gouvernement avait sans doute déjà fait le 'ménage' et récupéré ses documents. On le lui redonnerait à repasser bien assez tôt.

Jetant un oeil à l'homme assis en face de lui, un sourire se dessina de ses lèvres charnues. Quel piètre héraut! L'agent était apeuré. Il découvrait la partie immergée de l'iceberg, les monstres et héros qui l'entouraient dans sa mission. Il avait dû rencontrer quelque chose d'impressionnant, là où on l'emmenait à nouveau, car progressivement l'agent cessa de baisser les yeux face à Chen Lu, pour jeter des regards angoissés dans la direction où les menait le pilote. Chen Lu demanda s'il pourrait lui emprunter sa flasque de vin de riz. L'officiel chinois lui répondit en la lui mettant dans les mains avec hâte, comme pour s'en débarrasser. Le docteur atomiste en avala une rasade et le reposa sur le siège à côté de lui.

Quand il fut temps de descendre, le Dr Chen Lu demanda à rencontrer les responsables de la scène. Les agents de permanence étaient en train de déjeuner, et il décida de partager avec eux le repas pour en tirer davantage d'informations.

Le responsable des lieux était un vieil homme barbu au teint hâlé. Ses yeux bridés se cachaient malicieusement derrière des lunettes rondes peu épaisses, et il avait le sourire facile, en toute situation. Quand Chen Lu s'assit avec les hommes à sa table, il fut le seul à ne pas avoir un mouvement de recul. Il eut un petit rire aigrelet.

-Installez-vous donc, jeune ami. Mais sans perdre de temps je vais vous expliquer l'affaire qui nous occupe. Les tentes que vous voyez en contrebas, il montra d'un long doigt noueux le fond de la vallée, appartiennent à une équipe de fouilles. Vous voyez bien qu'ils ont mis à jour quelque chose, mais ils sont incapables de tirer un mot sur cette découverte. Plus encore, tous les agents qui sont allés les interroger sont revenus absolument bredouilles.

En effet au bas du plateau, on pouvait voir une étrange structure sortie de la terre. Les quelques hommes qui semblaient participer aux fouilles cependant se désintéressaient totalement de celle-ci, comme s'ils ne la voyaient pas. Le vieux chinois semblait s'en amuser, comme s'il avait toute sa vie vu de telles situations qui allaient au-delà de la compréhension de l'homme.

Chen Lu qui avalait quelques nehms avec un gigantesque bol de riz et des feuilles de salade pour entretenir son teint ravageur, ne laissait pas en reste le vieux responsable chinois, qu'il écouta avec beaucoup de curiosité. En effet les archéologues qui se trouvaient en bas avaient exhumé quelque chose et ils avaient un air absent difficile à définir.

"Vous voulez m'envoyer là-bas pour mettre un coup de pied dans la fourmilière? Et si je suis moi aussi affecté par le phénomène paranormal qui semble les atteindre?"

Non pas que l'Homme Radioactif fut devenu précieux à force de côtoyer les américains aux moeurs douillettes, mais il avait conscience que sa puissance de feu était à ne pas risquer pour l'état-major chinois. Il savait qu'hors de contrôle de lui-même il serait un plus grand danger qu'il n'était une aide.

Le vieil homme découvrit ses dents blanches et carrées en un large sourire.

-C'est pour cela que vous avez été désigné, Docteur. J'ai demandé à ce que l'on m'envoie l'homme le plus à même de résoudre cette situation. C'est vous qui avez été choisi.

Sur ces mots il le laissa apprécier son repas. Officieusement la prochaine alternative était l'arme nucléaire localisée. Quelques tirs bien ajustés et Chen Lu règlerait malgré lui le problème, s'il était incapable de le faire tout seul.

Quand le repas fut terminé, on le conduisit en bas, où il serait libre d'aller à la rencontre des archéologues affectés et de leur mystérieuse découverte.

Le Docteur Chen était particulièrement méfiant. Il n'aimait pas la manière dont son gouvernement le traitait ces derniers temps à vrai dire.
Un guide désigné le conduisit à mi-chemin, et il dut finir de descendre le petit chemin sans sa piètre compagnie. Il affectionnait les rares moments de silence quand il était aux Etats-Unis, mais ici la distance exprimée par autrui était trop envahissante pour ainsi dire, trop inductrice de désert et de solitude affective. Au moins à l'Ouest, on le laissait se gaver de magazines, ce qui lui permettait de toujours suivre la pointe du développement. Ici il était livré à lui-même, sans engins ni assistance.

Il arriva d'un pas lourd dans le défilé tapissé de sable blond et sec recouvrant çà et là une herbe maladive courbée et déchirée. La première chose qui s'imposa à sa vue était le large chapiteau où se réunissaient usuellement les cadres de l'équipe de fouilles avec leurs experts éventuels. Il y entra et découvrit plusieurs orientaux assis dans diverses positions. Ils n'étaient pas en grande conversation, et deux d'entre eux se lançaient machinalement un papier chiffonné. Il passa une main massive à quinze centimètres de leurs visages. Aucun ne répondait à sa présence. Ils avaient l'oeil plus vif qu'il n'y semblait d'en haut, simplement ils n'avaient pas toutes leurs fonctions cognitives et étaient incapable de sentir la présence de l'agent chinois.

Il y avait sur la table une carte locale indiquant les différentes dispositions de la vallée encaissée, avec des croix à différents endroits stratégiques et diverses zones cerclées. Un téléphone cellulaire était posé sur une chaise inoccupée ; une flasque de saké ainsi que divers niveaux, pendules et indicateurs entouraient l'un des hommes confortablement installés. Il attrappa un sac posé par là et enfila tous ces objets à l'intérieur. Puis retournant au-dehors, s'en alla en direction de ce qu'on lui avait montré de tout en haut, qui ressemblait vu de plus près à une paroi métallique recourbée.

Le Docteur avait également récupéré une boussole qui n'indiquait pas le Nord et un couteau d'une quinzaine de pouces.

Au-dehors, la large structure métallique, immobile et immense, luisait d'un rouge écarlate. Quand le quadragénaire se fut approché jusqu'à quelques pas, des lumières teintées bleues s'illuminèrent. Le vaisseau, car on pouvait à présent reconnaître que c'en était un, répondait à la présence de l'intrus. Les lumières changèrent et varièrent un certain nombre de fois, comme pour envoyer un message précis.

Rapidement, les gonds au sol d'une porte courbe la firent pivoter et descendre vers la terre ferme. A travers le rectangle sombre qui venait de se dessiner, on pouvait deviner l'entrée de l'aéronef.

Chen Lu fit un pas, qui le mena semble-t-il plus loin qu'il aurait dû. Les lois de la gravité semblaient avoir changé sensiblement dans l'aire de cet étrange bâtiment métallique. Le bon docteur avait la même étrange sensation que lorsque l'on commence à être ivre, et n'aurait su dire si c'était le saké où l'étrange atmosphère qui régnait en ce lieu. L'odeur ici était agressive et végétale, difficilement identifiable. A mesure qu'il avançait, il découvrait une technologie totalement inconnue des terriens, et une structure bâtie semble-t-il à des proportions titanesques. Ce qu'il avait pu observer de son lieu d'atterrissage, était plus petit encore que la plus petite partie émergée de l'iceberg, comparé à ce qu'il découvrait de l'immensité du complexe. Toutes les portes lisses et brillantes étaient ouvertes et il n'avait pas besoin d'actionner quoi que ce soit pour faciliter son avancée.

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